Pour le lecteur qui n’est pas familier du vocabulaire voire du jargon des cryptomonnaies, je recommande de vous référer à notre Petit dictionnaire des cryptomonnaies.
Le présent article est le deuxième d’une série de trois consacrée à la fiscalité des cryptomonnaies. Pour comprendre le contexte de l’introduction de l’article 150 VH bis du CGI par la loi de finances pour 2019, vous pouvez vous référer au premier article intitulé : Rapide historique de la fiscalité française des cryptomonnaies.
Le régime de l’article 150 VH bis du CGI vise non seulement les cryptomonnaies mais tous les actifs numériques au sens du Code monétaire et financier. Il impose les plus-values réalisées sur les cessions à titre onéreux, mais pas les échanges entre actifs numériques. Attention : un achat de bien ou service en BTC, ou encore un apport en société, constituent des cessions à titre onéreux imposables. L’article exclue de ce régime de droit commun les opérations relevant des bénéfices professionnels. Nous verrons dans le troisième article de la série ce qu’il convient d’entendre par « bénéfice professionnel ».
Le présent article est donc limité au régime des cessions à titre onéreux ne relevant pas des dispositions propres aux bénéfices professionnels.
Le seul aspect assez simple est celui du taux d’imposition. Il s’élève à 30% (12,8% d’impôt sur le revenu plus 17,2% de prélèvements sociaux). Si le taux est le même que celui du prélèvement fiscal unique (PFU), il s’agit en réalité d’une imposition spécifique qui en diffère notamment par l’impossibilité d’imputation des moins-values éventuelles d’une année sur l’autre, par le mode de calcul de la plus-value imposable, ou encore par l’impossibilité d’opter pour le régime d’imposition au barème par tranches.
Il convient de s’attarder sur la question du calcul des plus-values (1/), et sur celle des obligations déclaratives (2/).
1/ Le calcul des plus-values
On peut grossièrement résumer le régime applicable dans les termes suivants : on calcule la plus-value imposable non pas crypto par crypto, mais globalement au niveau de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques détenus par le contribuable, dont il va falloir déterminer exactement la quote-part cédée, et le coût d’acquisition de celle-ci à l’intérieur du portefeuille global.
Ainsi, la plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession est égale à la différence entre :
– d’une part, le prix de cession et,
– d’autre part, le produit :
– du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques,
– par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille.
Le prix de cession à retenir pour le calcul de la plus-value est le prix réel perçu ou la valeur de la contrepartie en biens ou services obtenue par le cédant, sous déduction des frais supportés par le cédant.
Le prix total d’acquisition du portefeuille d’actifs numériques est égal à la somme :
– des prix acquittés en monnaie ayant cours légal à l’occasion de l’ensemble des acquisitions réalisées avant la cession,
– et de la valeur des biens ou services fournis en contrepartie de ces acquisitions (hors opérations d’échange ayant bénéficié du sursis d’imposition).
Ce dernier terme vise les hypothèses d’une acquisition de cryptomonnaie en contrepartie d’une prestation de service ou d’une vente de bien.
La valeur globale du portefeuille d’actifs numériques lors de la cession est égale à la somme des valeurs des différents actifs numériques détenus par le cédant avant de procéder à la cession.
A chaque fois que la loi vise le « portefeuille d’actifs numériques », il faut comprendre la totalité des actifs détenus par le foyer fiscal, sous quelque forme que ce soit.
Il faut donc calculer une plus-value à chaque cession à titre onéreux. Pour ce faire, il va donc falloir (à chaque cession) tenir compte des cessions précédentes. Ainsi, le prix total d’acquisition est réduit de la somme des fractions initiales contenues dans la valeur ou le prix de chacune des différentes cessions d’actifs numériques à titre gratuit ou onéreux réalisées antérieurement.
En effet, chaque sortie d’actif numérique, que ce soit à titre onéreux (vente par exemple) ou à titre gratuit (donation par exemple), diminue nécessairement le coût d’acquisition de votre portefeuille restant.
Curieusement, l’administration indique que les prix d’acquisition des actifs cédés avant 2019 doivent être exclus du prix total d’acquisition du portefeuille déclaré à l’occasion de la première cession intervenant à compter de 2019 (BOI-RPPM-PVBMC-30-20 n° 130). Ce point (non inscrit dans la loi) me semble très contestable.
En cas d’acquisition à titre gratuit (par exemple en cas de donation ou de succession), le prix d’acquisition s’entend de la valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit ou, à défaut de la valeur réelle de ces actifs numériques, au moment de leur entrée dans le patrimoine du cédant.
Les frais de transaction (correspondant aux frais payés à la plateforme d’échanges ou aux « mineurs » en contrepartie de la validation de la transaction) viennent en réduction du prix de cession (BOI-RPPM-PVBMC-30-20 n° 50).
Un premier exemple simpliste permet de comprendre le mécanisme général.
Vous avez investi 1.000 € en cryptomonnaies en 2017. En 2020 votre portefeuille de cryptomonnaies valait 5.000 € au moment où vous avez décidé de récupérer 1.000 €. Vous avez alors fait une plus-value imposable qui se calcule ainsi : vente de 1/5ème de votre portefeuille ; ce 1/5ème qui valait au jour de la vente 1.000 € vous a coûté 1/5ème de l’investissement initial, soit 200 €. Vous réalisez donc une plus-value imposable de 800 € (1.000 € – 200 €).
Voici d’autres exemples plus réalistes, mais qui restent encore relativement simples :
a) Vous avez transféré 1.000 € vers une plateforme d’échange en 2017, puis à nouveau 1.000 € en 2018, et vous avez investi la totalité de ces sommes en cryptomonnaies. Depuis, vous avez réalisé des échanges entre cryptomonnaies, vous en avez transféré une partie vers d’autres plateformes d’échange ou sur votre wallet. En 2020, à un moment T, votre portefeuille total d’actifs numériques, en cumulant tous vos avoirs numériques, a une valeur de 10.000 € ; et pour la première fois, vous vendez pour 1.000 € de certaines de vos cryptomonnaies.
Le prix de cession (A) est de 1.000 € moins les frais de transaction ; s’ils sont de 5€ par exemple, votre prix de cession s’établit à 995 €.
Le prix d’acquisition de votre portefeuille (B) est de 2.000 € (les deux investissements de 1.000 € chacun).
La valeur globale de votre portefeuille (C) est de 10.000 €
Votre plus-value se calcule ainsi : A – (B x A / C) = 995 – (2.000 x 995 / 10.000) = 995 – 199 = 796 €.
b) Toujours en 2020, à la suite de la première opération, vous avez versé l’équivalent de 1.000 € en cryptomonnaies à votre fille à l’occasion de son mariage. A cette date, votre portefeuille d’actifs numériques avait une valeur totale de 8.000 €. Par hypothèse, votre fille ne faisait pas partie de votre foyer fiscal. L’opération n’est pas une cession à titre onéreux. Elle n’est pas imposable. Pour les besoins de l’exemple, nous considérerons que le transfert sur son compte d’actif numérique vous a coûté 1 €.
c) Poursuivons le même exemple que ci-dessus. Toujours en 2020, après (et malgré) les deux premières ponctions, votre portefeuille total d’actifs numériques est remonté à 12.000 € (C’), et vous décidez à nouveau d’en vendre pour 1.000 €.
Le prix de cession (A’) s’établit par exemple à 995 € compte tenu des frais de transaction, comme la première fois.
Le prix d’acquisition de votre portefeuille (B’), qui s’établissait initialement à 2.000 €, doit maintenant être corrigé des deux opérations précédentes. Il doit être réduit de la somme des fractions initiales contenues dans la valeur ou le prix de chacune des différentes cessions d’actifs numériques à titre gratuit ou onéreux.
Pour la première cession, qui était à titre onéreux (une vente), la correction doit s’élever à 199 € (voir le calcul ci-dessus au a)). Après cette première opération, le prix d’acquisition de votre portefeuille restant s’établissait à 2.000 – 199 = 1.801 €.
Après la seconde cession, qui était à titre gratuit (un don d’usage), la correction doit se calculer comme suit : 1.801 x 999 / 12.000 = 149,93 € arrondis à 150 €. Le nouveau prix d’acquisition B’ s’établit donc à 1.651 € (1.801 € – 150 €).
Dès lors, votre deuxième plus-value imposable se calcule ainsi : A’ – (B’ x A’ / C’) = 995 – (1.651 x 995 / 12.000) = 995 – 137 = 858 €.
Votre plus-value globale annuelle imposable s’élèvera à 796 + 858 = 1.654 €, taxable à 30% soit 496 € d’impôt.
2/ Les obligations déclaratives
a) Dans plupart des cas, les détenteurs d’actifs numériques ont ouvert un compte sur une plateforme d’échanges située à l’étranger (il existe toutefois quelques plateformes françaises). Dans ce cas le plus fréquent, le contribuable (sauf les sociétés commerciales) doit joindre à sa déclaration annuelle de revenus un imprimé n° 3916 bis dans lequel il doit déclarer les coordonnées de son compte d’actifs numériques étranger.
Toute défaillance déclarative est sanctionnée d’une amende de 750€ par compte et 125€ par omission ou inexactitude, ces montants étant doublés lorsque la valeur cumulée des comptes a dépassé 50.000 € à un moment de l’année.
b) La plus-value ou moins-value déterminée selon les règles rappelées ci-dessus doit faire l’objet d’une déclaration spécifique n° 2086 annexée à la déclaration annuelle des revenus. Son résultat, positif ou négatif, doit être reporté sur la déclaration 2042 C.
L’imprimé n° 2086 oblige à détailler les éléments de calcul de chacune des cessions réalisées dans l’année, ce qui peut s’avérer très complexe.
Le système mis en place par l’Etat français est d’une absurde complexité.
Dominique LAURANT
5 réponses
Bonjour,
quelle est votre position vis à vis des solutions de copy trading, et de l’imposition qui doit en résulter ? si je les utilise, c’est justement car je ne suis pas un pro, donc on pourrait pencher pour une imposition au PFU. Mais est-ce si simple ?
Et les frais non négligeables de ces solutions peuvent ils être déduits des sommes gagnées ? ou le paiement des honoraires en crypto permet-il de déduire implicitement ces frais, car pas de conversion crypto-fiat ?
Bonjour Monsieur,
Vous posez-là plusieurs questions.
a) La première concerne le statut pro ou non-pro d’une personne pratiquant le copy-trading. Je n’ai malheureusement pas de réponse claire à vous apporter à ce jour. L’administration, dans le Bofip, semble faire prévaloir le critère de la fréquence des opérations, ce qui entraînerait probablement la qualification professionnelle. Mais devant un tribunal, votre argument en sens inverse pourrait parfaitement prospérer tant il est pertinent. On peut espérer des précisions sur ce point car ce sujet est actuellement discuté dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2022.
b) Les déductibilité des frais afférents à un revenu imposable est un principe majeur du droit fiscal. Que vous soyez imposé comme professionnel ou non professionnel, je ne vois aucun obstacle à la déductibilité des frais directement engagés pour l’obtention du revenu imposable.
Dominique Laurant
Bonjour,
La complexité de la déclaration et le calcul des sommes taxables lors d’une cession crypto en fiat est terrible: pister depuis des années toutes les transactions sur des centaines de cryptos via des dizaines de plateforme d’échange et calculer la partie taxable à chaque utilisation d’une carte bleue Binance ou Crypto.com) me semble une gageure…
Cette gageure est démontrable: aucun logiciel de calcul fiscale crypto sur le marché n’est capable et s’engage à le faire…
Pourrait-on se libérer de cette complexité en payant directement 30% sur toutes les sommes sorties en fiat: impôts forcément majorées mais gain de temps et sérénité retrouvée (tout le monde est gagnant)…
Si oui comment déclarer les sommes de mes retraits auprès de notre agent des finances publiques?
merci
Bonjour Monsieur,
Je partage totalement votre point de vue. A ma connaissance, le logiciel le plus au point pour l’aide à la déclaration est celui de Waltio. Si vous n’arrivez à rien avec Waltio, la solution que vous proposez est extrême mais peu critiquable du point de vue de l’administration fiscale. En effet, votre solution est celle retenue par la jurisprudence en matière de plus-values sur titres lorsqu’on ne peut pas justifier de la valeur d’acquisition. Concrètement, il convient en tout état de cause de compléter la déclaration de plus-values sur actifs numériques, en la complétant d’une mention expresse. Toutefois, une solution intermédiaire est peut-être réaliste si vous pouvez justifier de certaines acquisitions d’actifs numériques en fiat. Vous pouvez évidemment me consulter sur ce sujet.
Salutations distinguées,
Dominique LAURANT
Je pense que l’état à compris le problème : les gros portefeuilles s’expatrient pour éviter la déclaration tout simplement sans vouloir être « anti-impôts » car ils ont vraiment cherché à nous taxer au maximum en rendant le système très compliqué alors qu’en Allemagne c’est 0% (!), au Portugal idem 0% (un vrai paradis fiscal) et les autres petits portefeuilles ne valent pas la peine d’être contrôlés car ç’est un casse-tête également pour les contrôleurs => pas rentable pour l’état.
En cours de discussion pour 2023 la possiiblité d’opter pour l’impôt sur le revenu et on espère qu’il suffira de faire la différence prix de cession – prix d’acquisition comme pour n’importe quelle valeur mobilière ! Pourquoi un traitement particulier ? Encore pour les ultra-riches ?