1/ Qu’est-ce que la fraude fiscale ?
a) Au sens strict, la définition du délit de fraude fiscale ressort de l’article 1741 du code général des impôts (CGI), que je vous invite à lire (tout le CGI, pas seulement l’article 1741). En résumé, une personne est coupable du délit de fraude fiscale lorsqu’elle s’est frauduleusement soustraite ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’impôt, quelque soit le moyen utilisé.
S’agissant d’un délit, sa répression relève de la compétence des juridictions judiciaires, et plus particulièrement en première instance des tribunaux correctionnels. La peine maximale (sauf cas particuliers) est de 500.000 € d’amende et cinq ans d’emprisonnement.
Compte tenu du principe de présomption d’innocence, un fraudeur fiscal est celui qui est reconnu coupable du délit de fraude fiscale par un tribunal correctionnel. A défaut, on peut être suspect, mis en examen, prévenu, sujet d’une rectification d’impôts avec pénalités administratives de manquement délibéré, voire de manoeuvres frauduleuses, mais on n’est pas coupable de fraude fiscale ; autrement dit : innocent.
b) Dans un sens plus large (juridiquement erroné), c’est-à-dire pour l’homme de la rue, le journaliste, ou même souvent le parlementaire, la fraude fiscale paraît englober l’ensemble des erreurs commises, de bonne ou de mauvaise foi, par les contribuables.
La rectification de ces erreurs relève du travail de l’administration fiscale, qui peut aussi prononcer diverses sanctions (par exemple des majorations de 40% en cas de manquement délibéré ou 80% en cas de manoeuvres frauduleuses). Bizarrement, cette sanction administrative est applicable sans recours à un juge. C’est à l’initiative du contribuable qu’un juge (administratif le plus souvent) peut être saisi de l’affaire.
c) Dans un sens encore plus large, et clairement abusif, des optimisations fiscales parfaitement légales sont parfois qualifiées de fraude fiscale. Il s’agit là pour l’essentiel de déclarations de nature politique, mêlant moralisme, populisme, et erreur juridique. Par exemple, un contribuable quittant (réellement) la résidence fiscale française pour échapper à l’ISF peut être critiqué sur un plan moral ou politique, mais pas sur un plan juridique : il exerce en liberté son droit d’aller et venir, notamment garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Il optimise ainsi sa situation sans commettre la moindre erreur de droit. Ce n’est pas un fraudeur, ni de près, ni de loin.
2/ Comment la fraude fiscale est-elle réprimée en France ?
Il n’est pas question ici de décrire la procédure en détail. Je ferai simplement une rapide description des cas les moins graves aux cas les plus graves, dans le but de comprendre le système dans sa globalité.
a) Dans le cas le plus courant, il n’y a aucune fraude. Un inspecteur a diligenté une procédure de contrôle puis de rectification à l’encontre d’un contribuable. Ses diligences l’ont convaincu de manquements aux déclarations fiscales, mais commis de bonne foi. Il prononcera un «simple» rappel d’impôt assorti d’intérêts de retard et d’une pénalité administrative automatique de 10%. Ce rappel d’impôt intervient généralement trois ans après les manquements. Compte tenu des taux d’imposition applicables, le contribuable à généralement les plus grandes difficultés à régler ces sommes.
b) Si ces mêmes diligences ont permis à l’inspecteur de démontrer l’absence de bonne foi du contribuable, il prononcera le même rappel d’impôt avec les mêmes intérêts de retard, mais il remplacera la pénalité de 10% par une pénalité de 40% dite de «manquement délibéré» ou de 80% dite de «manoeuvres frauduleuses». Je passe volontairement sous silence les pénalités d’abus de droit, de facture de complaisance, etc. Bien souvent, le contribuable ne peut absolument pas payer les montants qui lui sont demandés.
c) Dans les cas subjectivement considérés comme les plus graves, ou nécessitant un traitement exemplaire, le service des impôts prononce les rappels d’impôt avec intérêts de retard et pénalités de 40% ou 80% (comme ci-dessus) puis, agissant au nom du ministre du Budget après avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales (CIF), transmet le dossier au tribunal correctionnel. Chaque année l’administration transmet environ 1.000 affaires de fraude fiscale aux tribunaux correctionnels ; ceux-ci prononcent approximativement 5 relaxes et 995 condamnations. Les peines de prison ferme sont rares, et les amendes relativement peu importantes.
En résumé, un cas typique de fraude fiscale est réprimé, environ trois ans après les faits, par :
– un rappel d’impôt au sens strict de 500.000 € (par exemple),
– des intérêts de retard d’environ 40.000 €,
– une sanction administrative pour «manquement délibéré» de 200.000 € (500.000 x 40%),
– une sanction administrative supplémentaire pour non paiement de ces rappels dans les délais (car le contribuable ne peut pas payer) de 10% supplémentaires, soit 74.000 € ((500.000 + 200.000 + 40.000) x 10%),
– une condamnation par le tribunal correctionnel à trois mois de prison avec sursis, et 50.000 € d’amende.
Au total, 814.000 € à payer sur décision des services fiscaux, et 50.000 € sur décision du juge pénal.
3/ Quelles sont les voies de recours ?
Je n’aborderai pas les voies de recours dites «précontentieuses» qui sont des recours organisés par le Livre des procédures fiscales et la Charte du contribuable vérifié, avant la mise en recouvrement, c’est à dire avant que l’administration ne demande de payer l’addition.
a) Sur le plan purement fiscal, le rappel d’impôt peut être contesté par réclamation contentieuse (un courrier RAR argumenté) encore une fois adressée à l’administration fiscale. Après décision de rejet (expresse ou tacite par un silence de 6 mois), vous pouvez attaquer cette décision de rejet devant le tribunal compétent – en général le tribunal administratif. Après échanges de mémoires entre le contribuable et l’administration, le tribunal administratif rend un jugement, en général après plusieurs années. L’administration comme le contribuable peuvent faire appel devant la Cour administrative d’appel. Après échanges de mémoires entre le contribuable et l’administration, la Cour rend un arrêt, en général après deux ans. L’administration comme le contribuable peuvent encore porter l’affaire devant de Conseil d’Etat, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) pour les impôts régentés par l’Union Européenne comme la TVA par exemple, et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) notamment compétente pour toute accusation en matière pénale, ce qui est le cas des principales sanctions fiscales administratives.
b) Sur le plan pénal, le juge correctionnel n’attend pratiquement jamais le résultat du contentieux fiscal. Il se forge son opinion sur la base des éléments du dossier à sa disposition, et condamne 995 fois sur 1.000. Le contribuable (on peut maintenant dire «le fraudeur») peut faire appel, puis se pourvoir en cassation contre l’arrêt d’appel. Quels que soient ses recours, il aura presque toujours une condamnation pénale définitive avant que les juridictions administratives se soient prononcées.
Parfois, les juridictions administratives vont blanchir le contribuable sur un plan fiscal… alors qu’il aura été pénalement condamné ! Cette situation kafkaïenne a été plusieurs fois dénoncée dans le rapport annuel de la Cour de cassation comme un véritable dysfonctionnement du système répressif.
En conclusion, je me permets quelques recommandations ou demandes :
– aux contribuables injustement attaqués par l’administration fiscale : défendez-vous ! Faites valoir vos voies de recours ! L’administration exagère presque toujours, et les recours contentieux permettent généralement de faire baisser l’addition ;
– aux décideurs (ministres et parlementaires) : changez radicalement ce système répressif inadapté et souvent injuste, et cessez de renforcer un arsenal répressif pléthorique mais inutilisé !
– aux journalistes et commentateurs : faites la part des choses ! N’appelez pas fraude fiscale ce qui n’est qu’un rappel d’impôt ! Soutenez si vous voulez la lutte contre la fraude fiscale, mais regardez un peu les abus de l’administration fiscale : ils sont nombreux, ils sont avérés, et personne n’en parle.
Dominique LAURANT